Nature morte aux cerises

L'ombre dessine sur la table une poule ventrue toute ronde avec des petites pattes très fines, des petites queues terminées comme les allumettes par un très léger renflement, ou encore des épingles piquées dans une boule de tissu, un coussinet de couturière.
Il y a bien quatre ou six pattes à cet oiseau tout rond, une petite crête comme un chapeau pointu, un petit bec en avant, court, alors que c'est une longue queue qui pointe en l'air. Un deuxième rond, plus clair, se superpose au premier, on dirait un parapluie, avec des baleines autour qui ont jailli de leur logement, un troisième, un quatrième parapluie encore plus clair, beaucoup plus clair, invisibles d'abord, apparaissent à la suite des premiers, comme une petite troupe de joyeux timbaliers, se chevauchant de leurs ventres, de leurs dos, de leur enseigne – une timbale de cerises plantée sur leur dos comme sur la bosse d'un chameau, bien haut, ou sur la tête d'un roi d'opérette, un haut chapeau de plastique blanc garni de cerises qui débordent, rouges galbes de chair luisante, gonflée, piqués de leurs tigelles vert clair épaissies aux extrémités d'un renflement marron ou jaune, les réunissant par deux quelquefois, une feuille verte, fraîche, dentelée parfois aussi comme une touffe de cheveux de clown. En bas sur le plat de la table la poule rit, porte allègrement ce chapeau comme si elle n'en supportait nullement le poids. Picoti picota je commence à les manger et bientôt ce sont des pommes toutes rondes qui s'alignent sous la timbale blanche, sagement, comme sur l'étal d'un marchand, bien rangées de la plus foncée à la plus claire, l'une masquant l'autre en partie comme des cercles découpés dans du feutre pour faire un jeu d'enfant ou comme des ronds de lumière se poursuivant sur le sol, sur les murs d'une scène de théâtre. Puis il est tard, il faut laisser là le cirque, les clowns, les pommes et le verre de cerises, rentrer à la maison, poser le crayon.

Jim