Après la guerre

– Agnès, vous ne m'écoutez pas !

Personne autour de cette table ne l'écoute.
Depuis de nombreuses années, à chaque fin de repas : fêtes, anniversaires ou autres – effet de bons petits plats, effet de bons vins – il monopolise la parole.
Il raconte sa guerre – sa petite guerre – la dernière guerre.
Celle qu'il a vécue – un peu. Celle qu'il croit avoir vécue – beaucoup. Celle qu'il s'invente – peut-être.
Et bien sûr, par politesse, par lassitude aussi, je l'écoute – maîtresse de maison oblige.
Je suis la seule à l'écouter – du moins à faire semblant – car mes pensées sont ailleurs et ses paroles toujours les mêmes ne m'atteignent plus.
Les autres convives sont soit sorties de table, soit partagent d'autres conversations.

– Agnès, vous ne m'écoutez pas !

Je sens de la colère dans ses paroles. Cela va mal finir. Comment l'apaiser. Pas très malin, mais... passons...
– Passons au salon !
Un petit verre de chartreuse – son péché mignon – et dans peu de temps – ses yeux se fermeront et une bonne sieste apaisera son courroux.

Agnès

.Champ de Mars, aquarelle de Bob TEN HOOPE (détail)